Comment, un mois après, l'ouragan Harvey n'a pas fini de faire des dégâts

Dans les médias, les cyclones ne durent pas : ils se forment, se déplacent pendant quelques jours puis frappent. Les journaux se remplissent alors de photos de toits arrachés et de maisons innondées, les politiques vont sur place, on déplore les victimes et puis les envoyés spéciaux font leurs valises et on passe à autre chose.

Et c'est ainsi qu'est entretenue l'illusion qu'on peut se remettre facilement d'une telle catastrophe. C'est complétement faux.
La crise dure bien après qu'elle ait cessé de faire les gros titres : même dans un pays développé, il faut des semaines pour revenir à une situation à peu près normale et la reconstruction peut prendre des années.

L'ouragan Harvey, qui a touché le sud du Texas il y a exactement un mois, en offre un exemple : malgré toute la puissance des Etats-Unis, les plaies sont loins d'être pansées. Voici 6 raisons pour lesquelles Harvey continue, et va continuer, à affecter Houston.


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1. De nombreux habitants pourront difficilement reconstruire leurs maisons

Le cyclone Harvey au-dessus des côtes du Texas en août 2017Tenez-vous bien : 185.000 maisons ont été endommagées dont 9000 sont entièrement détruites. Des pans entiers de la ville sont à reconstruire.
Le problème c'est que, aux Etats-Unis, les risques d'innondation ne sont pas couverts par les contrats d'assurance habitation. Il est possible de souscrire un assurance spécifique mais très peu de propriétaires s'en donnent la peine : à Houston seuls 15% étaient assurés contre les innondations. Même dans les zones considérées à haut risque, où cette assurance est en théorie obligatoire, moins d'un batiment sur 3 était couvert...

Par ailleurs Houston est une "ville sanctuaire", refusant d'appliquer la politique du gouvernement Trump en matière d'immigration. Elle héberge une des plus importante population d'immigrés clandestins aux Etats-Unis : 10% de la population environ est sans-papier. Ces habitants n'ont en général pas accès à des aides. Le contexte politique risque de toute façon de les dissuader de chercher de l'assistance : le Texas a mis récemment hors-la-loi les villes sanctuaires.


2. Le système d'assurance contre les innondations est en faillite

Les assurances contre les innondations, parlons-en...
Aux Etats-Unis, presque aucun assureur privé ne se risque sur ce marché. La très grandes majorité des assurances contre les innondations passent par un système public mis en place en 1968 : le National Flood Insurance Program. Même la propriété de Donald Trump à Mar-a-Lago s'est assurée auprès du NFIP !

Sauf que le NFIP est moribond. Il ne s'est jamais remis des ouragans qui ont touché la Nouvelle Orléans en 2005 et New-York en 2012, lui laissant une dette de 25 milliards de dollars. Le programme devait expirer le 30 septembre et semblait bien parti pour être réformé à la hache.
Mais avec 3 ouragans de catégorie 3 ou plus qui ont touché coup sur coup le Texas (Harvey), la Floride (Irma) et Puerto-Rico (Maria), il était difficile de laisser mourir l'assurance innondation de centaines de milliers d'américain. Donald Trump s'est donc entendu avec les représentants démocrates au Sénat le 8 septembre pour prolonger le NFIP... de 3 mois !

Cela promet d'intéressantes discussions en décembre, quand la dette du NFIP se sera encore creusée de quelques dizaines de milliards.


3. Le prix de l'essence n'est toujours pas redescenu

Houston est le coeur de l'industrie pétrolière américaine. Sans surprise, l'arrivée de l'ouragan a fait monter en flèche les cours de l'essence : le prix de gros est passé d'environ 1.6 dollar le gallon à 2.17 à son point le plus haut. Il est ensuite très vite redescendu.

Mais ce n'est pas le cas pour les prix à la pompe : ils ont augmenté dans tout le pays et commencent à peine à baisser. Le 21 août, l'automobiliste américain payait en moyenne 2.33$/gallon pour son carburant, le 31 août 2.45$ et 2.65$ le 5 septembre alors que les prix de gros étaient déjà retombés à leur niveau normal.
Un mois après le passage de Harvey, le prix à la pompe est toujours de 2.57$ par gallon en moyenne. Le retour à la normal devrait prendre des semaines... Pour les automobilistes américains, qui consomment 12 milliards de gallons de carburant par mois, la facture va se compter en milliards de dollars.


4. Le trafic est durablement perturbé autour du 2e port des Etats-Unis

Le port de Houston est le deuxième port américain en tonnage et le premier pour le trafic international. Il a été fermé pendant 5 jours ce qui a entrainé le déroutement d'une soixantaine de navires.
Les ports de Corpus Christi et Beaumont (qui font partis des 10 plus importants aux Etats-Unis) ont aussi été fermés, comme ceux un peu moins importants de Port Arthur et Texas City.

Les ports ont été relativement épargnés mais ce n'est pas le cas des canaux qui relient Houston au Golfe du Mexique : la pluie y a amené tellement de débris et de sédiments qu'ils ont perdu environ un mètre de profondeur. Résultat : le tirant d'eau des bateaux rejoignant Houston doit être réduit jusqu'à ce que les canaux soient dragués.
Les canaux de l'intracoastal reliant Houston à Corpus Christi plus au sud ont aussi été obstrués. Pour l'instant seules les péniches vides peuvent les emprunter et ils ne devraient pas redevenir opérationnel avant 2 mois.


5. L'activité industrielle est toujours perturbée

Ces voies naviguables sont normalement très utilisées pour les échanges entre raffineries et usines pétrochimiques, qui font la richesse de Houston. Mais la logistique n'est pas le seul problème pour faire rédémarrer l'économie locale.
Les activités industrielles ont été presque totalement interrompues pendant le cyclone : 80% des capacités de raffinage ont été mises à l'arrêt, ce qui représente quand même presque un quart des raffineries américaines...

Et la remise en service s'est avérée plus difficile que prévu. Seules 2 raffineries sur 19 ont réussi à revenir à pleine capacité en moins de 2 semaines. Aujourd'hui, la raffinerie Total de Port Arthur est encore à l'arret et 8 autres tournent toujours au ralenti.


6. Personne ne connait réellement les conséquences environnementales

Arkema, ça vous dit quelque chose ? Non ? Les habitants de Houston, eux, connaissent...
Arkema, c'est le premier groupe de chimie français, une ancienne filiale de Total. Pendant l'ouragan une usine du groupe située un peu à l'ouest de Houston a perdu son alimentation électrique principale puis son alimentation de secours. Or l'usine stockait des produits chimiques très instables qui devaient impérativement être maintenus à basse température... Pas d'électricité, pas de réfrigération. Le 31 août deux chargements ont explosé. Le lendemain l'exploitant a décidé de mettre le feu aux 8 chargements restants plutôt que d'attendre qu'ils explosent.
D'après Arkema, les explosions et les incendies ont rejeté un peu plus de 40 tonnes de polluants atmosphériques. Des pompiers et policiers présents sur place sont tombés malades peu après et ont porté plainte contre l'entreprise française, des riverains et les autoritées locales se sont joints à la plainte.

Si les industries ont tellement de mal à repartir c'est que beaucoup ont été innondées ou ont subi d'autres dommages pendant l'ouragan. Ces dégats ont aussi eu pour conséquence un pic de pollution.
Selon les déclarations initiales des exploitants, les rejets non-autorisés ont atteint 2500T pendant l'ouragan et les deux semaines qui ont suivi. C'est presque autant que pour toute l'année 2016... Ajoutons que ces premières déclarations sont probablement très sous-estimées et que l'Agence américaine de protection de l'environnement ne semble pas faire preuve de zèle.


En guise de conclusion

Cet inventaire n'est certainement pas exhaustif. Même si on n'en parle plus guère, il faudra probablement beaucoup de temps à Houston pour se remettre du passage de Harvey. Et ce n'est pas un cas à part. Pour ne citer qu'un exemple : plus de 10 ans après Katrina, la Nouvelle Orléans n'a toujours pas retrouvé sa population de 2005 !
En France, les dégats causés par Irma dans Antilles ont provoqué une petite polémique. Le gouvernement a été accusé... de quoi au juste ? La réalité c'est que ces phénomènes climatiques sont catastrophiques même pour un pays développé et qu'il faut des années et des milliards pour s'en remettre.

Alors que les projections nous disent que ces évenements violents vont devenir plus fréquents avec le changement climatique, nous sommes bien plus vulnérable que nous voulons l'admettre.


(Cet article est inspiré d'un retour d'expérience sur l'ouragan Harvey que j'ai publié récemment. Vous pouvez lire la note complète ici)


Publié le 29 septembre 2017 par Thibault Laconde


Illustration : By Ludovic Péron (Own work) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons



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